Sentimentale moi...
Au début, j'ai été très amoureux du Docteur S. que j'avais rencontrée au hasard d'un mail... voici le courrier que je lui ai envoyé une heure après avoir fait sa connaissance. Elle n'y répondit jamais mais je me ruine en séances hebdomadaires chez elle depuis à cause de cette bafouille...
Ma chère docteur S.,
Vous me parlez…
Malgré le fait que je ne vous connaisse pas, malgré le fait que vous ne me connaissiez pas, je vous trouve bigrement intéressante. Je ne peux pas vraiment dire pourquoi… c’est une question de sensation, de ressentiment. Comme qu’on dit : « vous me parlez »… Entre nous, le ton est à la fois superficiel et léger, puis abyssalement grave, torturé, enjoué, bref tellement riche. Et pourtant je ne vois pas trop ce que je pourrais vous apporter, je vois encore moins ce qui pourrait être concrètement construit ou établi. Des ennemis tels que le temps, l’âge, les motivations et aspirations sont là pour me le rappeler, aujourd’hui comme demain. Mais bon… pourquoi ne pas continuer tout de même à lier connaissance, voir plus si affinités… comme ça. Même et d’abord virtuellement (toujours « comme qu’on dit »). En fait, voilà… vous m’intriguez. Je crois que tout vient de là. Je suis étonné que l’on puisse vouloir s’intéresser à moi. Et puis, vous êtes une animosité curieuse… vous êtes bizarrement foutue dans votre tête… et ça, ça m’intéresse drôlement !!! Vous n’êtes pas de celles que l’on peut aisément catégoriser. Je peux me tromper, mais je trouve cela pour le moins réconfortant.
Vous me parlez…
Avec notre premier long chat nocturne, j’ai compris que nous nous sommes entraînés dans un flirt virtuel avec tout ce que cela signifie… Depuis cet instant donc, j’ai l’impression que tout ce que je fais pourrait mettre en péril cette relation. Aussi ai-je décidé de changer non pas en bien, mais en mieux (évidemment !) : dès vendredi matin, j’ai inlassablement répété à ma secrétaire comment on programmait un fax sachant que c’est une cause définitivement perdue ; vendredi soir j’ai même laissé gagner les jumeaux au « t’en fais pas » ; samedi matin à la poste, j’ai non seulement fait le rang mais j’ai gratifié cette cruche de guichetière d’un « bonjour, svp, merci et au revoir » avec un sourire à faire peur ; samedi midi, j’ai tenu à vider mon assiette « comme un grand »… au bout de la 3è assiette de riz avec sa sauce tomate je me suis précipité dans les waters pour tout rendre. Mais je le sais : ce qui compte, c’est l’effort, c’est l’intention… forcément ! (non ?)
Vous me parlez…
Il faudrait n’avoir jamais à s’expliquer sur qui on est, et ce qu’on fait, où on habite, ce que l’on aime et qui nous donne cette sensation douce, illusoire, d’être vivant ou différent. Au commencement d’une histoire (il me semble que c’est ainsi que vous et moi qualifions ce qui nous arrive), on n’est obsédé que par l’idée de séduire l’autre parce que terrorisé par l’idée de le perdre. Tout débute par l’envie louable de plaire à cet autre par affection pour lui. De là à ne s’intéresser qu’à l’image qu’on projette sur lui et à ne plus être soi-même, il n’y a qu’un pas. Il ne faudrait pas que nous tombions dans ce travers. D’un simple courriel que je ne vous ai jamais écrit, mais auquel vous avez répondu, au jour d’une probable rencontre « pour de vrai » par quels méandres et quelles turpitudes passerons-nous ? Doutes et espoirs… Doutes ou espoirs… L’instant où nos regards se croiseront… Que n’a-t-on pas déjà écrit à ce sujet ? Nous ne sommes pas maîtres de ce qui nous arrive, prétendre le contraire serait se mentir. Pour écrire l’Acte 2, nous serons obligés de nous plaire. Comme tant de fois avant nous, le couperet tombera… sans appel, sec, brutal. Je vous entends répondre : « il n’y a pas que le physique ». Que disait le Petit Prince ? « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ». Oui et bien, soit il se paie notre tête en affirmant pareille ânerie, soit son séjour prolongé dans le désert aura sérieusement affecté ses capacités mentales déjà un peu blondes à la base. Entre nous, c’est bien commode d’affirmer que l’apparence physique n’a que peu d’importance lorsqu’on dispose d’un frais minois comme le sien. « L’essentiel est invisible pour les yeux ! » Tu parles, oui ! N’empêche qu’il s’est amouraché d’une jolie rose et n’est pas tombé sous le charme d’une grossière courge. Imagine que le Petit Prince ait eu, du temps de son adolescence, un bec de lièvre et le front recouvert d’une malédiction acnéique, il aurait pu marcher dans le désert jusqu’à la mort par déshydratation avant qu’on ne décide jamais de lui consacrer un ouvrage. Qu’il revienne après nous dire que l’essentiel est invisible pour les yeux lorsqu’il aura été confronté au dégoût des autres. Pourquoi Quasimodo que tout le monde plaint, ne s’est-il pas plutôt amouraché d’un bloc de saint doux diabétique que d’une bombe sexuelle vivante ?
Vous me comprenez, non ?
Vous me parlez…
S’il vous plait, Docteur S., continuez !
Merci de m’avoir lu.
Je vous embrasse…
Anténor !